Le feu des armes s’est tu en 2017 ; le vaincu, Novethic, a dû capituler à quelques encablures de la disparition totale. Le plus ancien label français de la finance éthique a cédé sa place à deux jeunes premiers, édités par l’État. Y avons-nous gagné au change ?
De quoi parle-t-on ?
Les OPCVM (SICAV, Fonds Communs de Placement) sont constitués d’une multitude de « sous-jacents », c’est-à-dire des titres financiers servant à financer des « émetteurs ». Ces émetteurs sont des États, des entreprises et des ESUS* dans le cas de la finance solidaire. On en compte souvent plus d’une centaine au sein du même OPCVM.
Afin de permettre aux investisseurs de distinguer le niveau éthique d’un OPCVM, la Caisse des Dépôts a créé en 2009 une société appelée Novethic. Chargée d’examiner de manière indépendante le positionnement « responsable » des émetteurs financés par les fonds et la méthodologie de gestion, la société a labellisé plusieurs dizaines d’OPCVM chaque année jusqu’en 2011. Les deux orientations du Label NOVETHIC ISR étaient alors « la qualité » et « la transparence ». En 2012, Novethic a choisi de rendre plus exigeant son cahier des charges de labellisation des fonds ISR, en passant d’une logique de « qualité » à une logique de « sélectivité ».
Cette décision a mis le feu aux poudres ; quand on sait qu’un projet d’incitation fiscale du gouvernement en faveur des fonds ISR labellisé pouvait – et peut toujours – surgir d’un jour à l’autre, on imagine le manque à gagner que cela provoquerait pour ceux qui n’obtiendraient pas le précieux Graal.
Deux camps : les militants et les bienveillants.
Cette nouvelle disposition offrait un mérite évident : forcer tous les émetteurs à progresser et à le démontrer chaque année s’ils voulaient rester « investissables ». En effet, le système précédent pouvait provoquer une situation similaire à celle d’un établissement scolaire où tout le monde aurait le bac, et où l’examinateur n’aurait pas intérêt à augmenter son niveau d’exigence, car rémunéré en fonction du taux de réussite.
Certaines sociétés de gestion se sont opposées à ce principe de sélectivité, et se sont retirées du label Novethic ISR, arguant que « la qualité » était le seul système qui valait et trouvant dans les statuts de Novethic « organisme privé » une raison de circonstance propre à la délégitimer.
Évidemment, il faut prendre conscience que la nouveauté « militante » introduite par Novethic obligeait les gérants à exclure des sociétés (émetteurs mauvais élèves), alors qu’ils les auraient volontiers conservées, par « bienveillance », mais probablement aussi pour des questions de rendement à court terme. Par ailleurs, il leur fallait aussi démontrer l’impact positif réel de leur stratégie d’investissement, point ardu s’il en est. Certains gérants ont donc décidé de se retirer et de mettre en place leur propre système parallèle, notamment en sollicitant une démarche certifiante auprès de l’AFNOR. En marge de ce contexte, l’AFG (Association Française de Gestion) décida d’adopter une vision de l’ISR encourageant (à notre sens) la posture de Novethic : un fonds ISR doit non seulement sélectionner, mais aussi user de son influence pour favoriser une économie responsable (ce qui est aussi la démarche du Label CIES, pour l’épargne salariale). Bref, au milieu de la cacophonie, le seul terrain d’entente de tous les protagonistes restait le suivant : un fonds ISR se doit d’être parfaitement transparent. C’est déjà ça.
Comment discerner ?
Choisir entre la bienveillance et le militantisme n’est en général pas chose aisée. Cependant, un élément doit pouvoir nous aider à prendre parti : où en sommes-nous aujourd’hui de l’Investissement Socialement Responsable ? Avons-nous tant progressé que nous pourrions tous nous féliciter d’avoir le bac avec les félicitations du jury ? Certainement pas. Il faut admettre que l’impact investing* reste un parent pauvre de l’économie, alors qu’il est le passage obligé pour limiter le réchauffement climatique… si nous ne parlons que de ce de point.
Dans ce contexte, choisir la bienveillance c’est courir à sa perte bien qu’elle apporte quelques consolations sur la longue pente glissante de la médiocrité. Choisir une posture militante, c’est s’exposer à des attaques désolantes, motivées par des intérêts bien souvent financiers. Novethic en a fait les frais ; en 2017, son label en Français est mort et enterré.
L’Etat entre en jeu
Parmi les outils les plus puissants de l’Etat, les incitations fiscales en sont un de plus redoutables. Cependant, impossible d’appliquer une politique fiscale en matière d’ISR au milieu d’une telle confusion des normes ; un label consensuel était donc devenu nécessaire comme préalable à toute initiative fiscale future dans ce domaine. Et c’est ce qui s’est passé, avec l’émergence, en 2016, du « label ISR Gouvernemental » et du label TEEC « Transition Energétique et Ecologique pour le Climat ».
Il faut malheureusement l’admettre : ce nouveau label ISR n’intègre principalement que des principes de transparence, nécessaire mais pas suffisant. C’était pourtant évident : en matière d’éthique et de morale, l’Etat n’est pas en capacité de dire ce qu’il faut faire, mais seulement d’écrire ce qui est interdit. Autrement dit : proscrire le malhonnête, sans pour autant contraindre à la vertu. Chacun son opinion n’est-ce pas ? Nous sommes donc rendus à ce jour dans une situation ou le terme ISR est de plus en plus galvaudé, chaque gérant profitant du brouillard pour « éthiqueter » sa gamme ISR. Les dérivatifs fleurissent : ISR engagé, ISR responsable (répétition), ISR compatible, ISR conscient, ISR d’impact, ISR solidaire. Comment s’y retrouver ?
Oui, la situation des dernières années a nivelé la notion vers le bas, et si la collecte sur les fonds ISR a considérablement augmenté, c’est plus parce que de nouvelles étiquettes ont été apposées que grâce à un meilleur fléchage des investissements. Dernière orientation du label ISR gouvernemental envisagée : donner des étoiles (1 à 3 par exemple) en fonction de l’engagement. Pourquoi pas. Mais le problème restera entièrement le même : où mettre le curseur, et selon quels critères ?
Cet article est le premier d’une série qui vous en dira plus sur les labels : quels sont-ils et quelles sont leurs spécificités ?
ESUS : Entreprise solidaire d’utilité sociale – https://www.tresor.economie.gouv.fr/Ressources/14662_agrement-esus
Impact Investing : L’investissement à impact social, ou encore impact investing, est une stratégie d’investissement cherchant à générer des synergies entre impact social, environnemental et sociétal d’une part, et retour financier neutre ou positif d’autre part.